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«La route est encore longue pour la gauche»

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REUTERS/Philippe Wojazer

Après les élections régionales, Délits d’Opinion a rencontré Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Cevipof, afin d’en savoir plus sur les enseignements à tirer de ce scrutin et de ses résultats.

Délits d’Opinion: Dans certaines villes comme Sarcelles, la gauche est arrivée en tête du second tour avec moins de 10% du corps électoral, celui-ci représentant à peine 30% de la population de la ville: dans quelles mesures l’abstention remet-elle en cause la victoire de la gauche à ses élections?

Bruno Cautres: Les niveaux d’abstention constatés au premier comme au second tour (malgré un recul significatif lors du second tour) posent question à l’ensemble des formations politiques. Lorsque l’on rapporte les suffrages obtenus, dans d’autres élections récentes, hormis la présidentielle de 2007 qui avait fortement mobilisé, aux électeurs inscrits, on peut effectivement se poser des questions sur le niveau de soutien réel obtenu par telle ou telle formation politique. Mais cela concerne tout le monde. L’abstention ne remet néanmoins pas en cause la victoire de la gauche qui s’est clairement dessinée. Elle pose des questions, notamment vis-à-vis des niveaux d’abstention dans certains quartiers.

Le PS a longtemps semblé divisé, mais s’impose dans presque toutes les régions: ce succès donne-t-il à Martine Aubry une dynamique suffisante pour s’imposer dans l’opinion et dans son parti?

Il est clair que ces élections régionales marquent un tournant: Martine Aubry ancre davantage son leadership sur le PS et la gauche, et une dynamique d’union entre PS, Europe-Ecologie et le Front de Gauche commence à s’affirmer. Néanmoins, la route est encore longue pour la gauche, pour le PS et pour celui ou celle qui sera son candidat en 2012.

Les Verts et le Front de Gauche (FG) constituent de nouveaux alliés de poids: quelles marges de manœuvres existe-t-il pour un rassemblement? Comment la gauche peut-elle trouver un discours commun?

La gauche avait plusieurs problèmes depuis le 21 avril 2002 et notamment réussir à faire cohabiter ses différentes composantes avec efficacité au moment de l’élection présidentielle. L’élection présidentielle de 2007 avait démontré qu’avec une moins forte dispersion de candidatures et une candidate populaire dans l’opinion, le PS pouvait à nouveau disputer fortement à la droite le poste de président de la République. Mais restaient toujours en suspens deux autres problèmes: avec quels alliés et sur quel programme? Les régionales de 2010 soldent l’hypothèque MoDem. Sauf retournement stratégique des uns et /ou des autres, désormais l’alliance politique avec le MoDem ne paraît plus autant peser sur les débats internes et la stratégie du PS. Il y a fort à parier que le candidat PS à l’élection présidentielle lancera néanmoins un appel à un vaste rassemblement d’électeurs «démocrates» au sens large. Le Front de Gauche, comme aux élections européennes, réussit à s’ancrer dans le paysage politique français et ressource l’aile gauche de l’alliance, dont le PS a tant besoin pour conquérir l’Elysée. Quant aux écologistes, ils sortent assez nettement, avec le PS, grands gagnants de ces élections: ils constituent la troisième force politique française. Les marges de manœuvre existent toujours en politique, il est très rare d’en être dépourvu car tous les acteurs ont à un moment donné un intérêt commun à gagner ensemble. La période qui s’ouvre va être tout à fait intéressante à suivre: l’organisation des écologistes, la date et les modalités de la primaire à gauche, autant d’éléments qui peuvent, suivant ce qui s’y passera, prolonger la dynamique victorieuse.

Comment interpréter l’effondrement du NPA?

L’émergence du Front de Gauche a sans doute enrayé les projets du NPA et d’Olivier Besancenot. Jean-Luc Mélenchon dispose à la fois d’une forte posture de gauche aux yeux de l’opinion et d’une expérience gouvernementale. Sa rupture avec le PS, l’alliance du Parti de Gauche et du PCF au sein du Front de Gauche lui a permis de gagner sur les deux tableaux: fort ancrage à gauche (critique vis-à-vis de la gauche qui gouverne) et acceptation, même sous conditions et critique, d’éventuelles alliances avec la gauche de gouvernement. Cette dynamique a donc clairement repoussé le NPA dans un coin plus étroit et plus difficile de la vie politique.

Quel avenir pour François Bayrou? Pour le MoDem? Pour le centre en politique?

François Bayrou a toujours le même projet politique et n’en changera sans doute pas: il défend l’hypothèse, qui n’est pas sans fondement, que l’élection présidentielle est le verrou qui tient tout. Sa «révolution orange», à savoir la fin du système où tout ce qu’un camp gagne, l’autre le perd, repose sur un pari stratégique: se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle et à ce moment-là faire la différence. La sociologie de son électorat est nettement plus composite et le MoDem a été le réceptacle de flux électoraux variés: anciens électeurs centristes, de gauche, écologistes ou de droite modérée mais non séduits par Nicolas Sarkozy. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles il lui est difficile de fixer et de fidéliser cet électorat. Cela ne veut pas dire que le centrisme n’existe pas ou plus et que les élections régionales de 2010 signent la fin du projet politique du MoDem. Néanmoins, le MoDem comme organisation connaît une forte crise interne et les difficultés à boucler les listes dans certaines régions témoignaient déjà de ces difficultés. Le départ de Corine Lepage des instances de la présidence du MoDem en sont un autre indicateur.

La droite a atteint un niveau historiquement bas: quelles en sont les principales raisons?

Les élections régionales jouent comme des élections «intermédiaires»: elles tendent à favoriser l’expression des mécontentements et une partie de l’électorat met à profit cette occasion pour envoyer des messages au pouvoir en place. A cette toile de fond s’est ajouté le contexte de crise économique, de doutes et d’incertitudes qui viennent avec. L’impopularité du chef de l’Etat, y compris depuis quelques mois dans des segments habituellement acquis (professions libérales, indépendants, personnes âgées), la non-campagne électorale, ont favorisé l’envoi d’un message au chef de l’Etat et au gouvernement. De nombreux ministres n’ont pas réussi à enclencher une dynamique dans leurs régions.

Cette défaite de la droite façon Sarkozy laisse-t-elle de la place pour une autre droite? Quel espace politique existe-t-il pour Dominique de Villepin qui a annoncé ce jeudi la création d’un nouveau mouvement?

Il est très difficile de répondre. Incontestablement, la question de la diversité à l’intérieur de la droite devient pour elle une question importante. Mais chaque élection a sa propre logique: rien ne dit, aujourd’hui, que la diversité des candidatures jouerait en 2012 dans un sens mobilisateur pour la droite (comme pour la gauche d’ailleurs). C’est davantage les politiques conduites et leurs résultats auxquels les électeurs font attention. Dominique de Villepin a su capitaliser un peu dans l’opinion à travers le procès de «l’affaire Clearstream». Il faudra surtout voir quel projet il présente, et sur quels thèmes il voudra marquer sa différence. Une fois connus ces importants paramètres, nous pourrons voir de quelle marge de manœuvre il dispose. Cela dépendra aussi de l’évolution de la popularité des deux têtes de l’exécutif à ce moment-là, en particulier au sein de l’électorat de droite. Pour le moment, le point faible de Dominique de Villepin reste la rareté de ses relais au sein de l’UMP et de ses élus. Son ancrage territorial est une autre inconnue, même s’il peut réussir à percer un peu dans l’opinion au nom de sa différence et de son statut d’ancien Premier ministre.

Pensez-vous vraisemblable de voir l’UMP s’allier avec un FN plus «light», incarné par Marine Le Pen et de voir cette dernière intégrer un gouvernement de droite, constituant ainsi l’aile dure de ce gouvernement, à l’instar d’un Charles Pasqua?

Il s’agit pour le moment de scénarios de politique-fiction. Ce n’est sans doute pas au moment où le FN semble retrouver une partie de son espace perdu qu’il s’engagera dans un tournant à 180 degrés de sa stratégie. Dans ses déclarations, Marine Le Pen continue de fustiger ce qu’elle appelle «l’UMPS». Idéologiquement, les électorats de la droite modérée de gouvernement et de l’extrême droite connaissent d’importantes différences: les valeurs politiques de l’électorat d’extrême droite (ce que mes collègues Gérard Grunberg et Etienne Schweisguth dénomment «l’anti-universalisme», qui est un mélange de valeurs autoritaires, xénophobes et anti-égalitaires) font une différence de fond avec l’électorat de droite classique, sensible aux thèmes économiques du «trop d’Etat» mais également beaucoup plus sensibles aux valeurs de l’universalisme que l’électorat de l’extrême droite.

En conclusion, quelles vont être, selon vous, les principales conséquences politiques de cette défaite, en particulier sur le rythme des réformes, sur la façon de communiquer ou les stratégies d’alliances?

Ces régionales auront d’importantes conséquences, au-delà du mini-remaniement: les stratégies des acteurs vont évoluer tant à gauche qu’à droite. Sans aucun doute, on peut s’attendre à des conséquences sur le rythme et le style de l’action du président de la République. Premier exemple, la fin annoncée de la «taxe carbone».

Propos recueillis par Olivier Vandelle

Photo: Cécile Duflot, Martine Aubry et Marie-George Buffet, le 18 mars 2010. REUTERS/Philippe Wojazer

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